De Nungwi nous nous calons à l’arrière d’un Daladala , parés pour les secousses, et là, Ô miracle, goudron et route plane, parfois large, jusqu’à la ville principale Stone Town. Une idée ne tarde alors pas à germer dans mon esprit, rapidement approuvée par Linda, puis par les enfants que nous tâchons de rassurer. Nous nous mettons ainsi en quête de nos montures favorites, et après moultes négociations convainquons un vendeur de bicyclettes de nous en louer 4 pour une dizaine de jours, le rassurons lui aussi en allant déclarer l’affaire et laisser une caution à la police du quartier.
Nous improvisons une mue de notre attirail, enfilons nos sacs à dos dans des sacs de riz, les posons sur le porte bagage arrière renforcé de larges barres métalliques, ficelons l’ensemble de lanières en caoutchouc, un job à l’africaine qui tient bien la route.
Les vélos, à l’inverse, ne valent pas un clou mais nous ne pouvons faire les difficiles. Ils nous contraignent au ménagement des charges autant que des efforts trop appuyés sur les pédales. Martin perd une des siennes, je manque de faire de même, Linda éclate un pneu sous la chaleur au milieu de rien. 10 minutes se passent et un daladala se présente pour l’acheminer chez un réparateur à la fin de l’étape, sa monture sur le toit. Hakuna matata ! Aucun problème !
Ainsi nous traversons l’île dans une humeur joyeuse, fesses en selle,ciel sur la tête, dans l’insouciance de ne pas savoir le matin dans quel endroit nous coucherons le soir. Une mélodie, un doux sifflement plus ténu que la douleur qu’il réveille sur les lèvres gercées de soleil. Une ombre se résumant à un point à l’heure de midi dans des longues lignes droites bordées de cultures (maïs, papayes, tomates, cocotiers) , parfois un ciel de plomb qui se soulage d’ une averse , l’occasion d’une halte sous un bosquet. Toujours des Hujambo Sijambo mambo vipi safi Poa Habari Nzuri, salutations de circonstance, des sourires , des airs surpris, des pouces levés pour saluer notre embarcation « à l’africaine ». Il est vrai qu’ici effectuer la traversée de ile en vélo, avec nos enfants, ne parait pas concevable.
Œil sur l’horizon, nous pédalons ainsi à un rythme lent et régulier, ménageant nos montures de pacotille en restant attentifs au moindre trou ou ressaut dans l’asphalte, esquivant chaque caillou sur les pistes non goudronnées, vigilants à se jeter de côté si deux véhicules venaient à se croiser dangereusement à notre niveau, afin que se maintienne jour après jour le fragile équilibre de notre tribu à roulettes.
Nous parcourrons parfois des kms à l’ombre d’allées de grands manguiers ou acajous, bénissant les « aménageurs » du lieu, moins consciencieux que ceux de notre chère patrie, rasant une allée de platanes sans rémission dés lors que l’un d’eux se présente sur le chemin d’une automobile déviant de son tapis de bitume. S’il faut argumenter , ou si l’allée borde un canal, une rivière, on trouvera alors aux arbres une maladie justifiant leur abbatage. Ces derniers, faute de pouvoir se défendre, succombent en général à la moindre accusation ou convoitise.
Il faut souligner que sur l’île, la route est une artère de vie. Ainsi les vendeurs en tous genres s’abritent sous les arbres qui la bordent, pour satisfaire les besoins de ceux qui l’empruntent.
Il n’en demeure pas moins qu’ici comme ailleurs la hache a bien souvent le dernier mot. Ainsi d’un immense cocotier, en prise avec un villageois l’escaladant avec une sangle en sac plastique entre les chevilles, pour en faire chuter lourdement depuis la cime ses dernières noix, je ne vis le matin suivant que l’imposant tronc couché au sol, servant de banc à quelques vieillards en petite conversation matinale. Aucun émoi, aucune sourate pour ce spécimen qui du haut de sa splendeur les avait vu naitre, abrités et généreusement nourris depuis lors.
Mais le végétal renait partout dés lors qu’on baisse la garde, gardons l’espoir qu’il saura nous survivre, engloutir nos cités et servir de refuge à de nouvelles espèces animales du futur, plus précautionneuses de leur milieu que nous le sommes.
A Paje, sur la côte est, le décor est idyllique. Sable blanc, eau turquoise peu profonde s’étendant jusqu’à une lointaine barrière de corail où s’affalent en écume de légères vagues précédant l’horizon.
Depuis notre lo(d)ge, nous assistons au ballet répété quotidiennement. Vers 6h le soleil illumine la scène, dans laquelle entrent les bateaux de pécheurs au harpon prenant le large à marée haute. 6 heures plus tard d’autres les relayent à pied , quand il est à la fois possible de ne former qu’un point à l’horizon et d’avoir encore les hanches au sec.
Sur la plage blanche en premier plan, passent et repassent de jeunes masais drapés de leur étoffe écossaise rouge, munis de leur baluchon boutique de souvenirs proposés aux quelques touristes dont nous sommes. Certains s’affichent mains dans la main avec une dame blanche en mal d’amour venue solliciter leur tendresse.
Des femmes drapées de couleurs vives des pieds jusqu’à la tête, penchées sur quelques trous de crabes ou autres crustacées devant ce fond paradisiaque nourrissent en nous un instinct photographique qu’il convient respectueusement de refreiner.
Quelque troupeau de bétail osseux, buvant l’eau salée et allant en file indienne devant ce même lagon ponctué de bateaux de pêche ou de loisir, n'échappent, pour leur part, à nos clichés.
Combien d’entre nous (je m’inclus par empathie et sans cynisme aucun), européens engourdis sous les cieux moroses de l’automne naissant, ne rêveraient d’échanger leur place avec ces heureux bovins.
Sur cette carte postale, nous pourrions affubler les bêtes d’une bulle qui nous dirait en substance : « mettez vous à la PAJE, tournez la PAJE, faites PAJE blanche.. ; »
Certains initiés, chasseurs de spots, ont su déceler depuis leur lointaine contrée , dans cette mer chaude, peu profonde, un lieu d’éclate des plus fameux, pour peu qu’une autre condition à leur loisir soit réunie. En effet dans les dernières heures du jour se lève un vent régulier à PAJE, occasion rêvée pour quelques kite surfers de jeter leur plume dans le ciel, et se propulser inlassablement et alternativement sur l’onde verte et dans les airs de quelques mètres.
Spectacle décousu dans son ensemble, acteurs dépareillés jouant leurs rôles respectifs dans ce même décor de rêve et de loisir pour les uns, de travail et de subsistance pour les autres.
Au sud de l‘ile, nos âmes curieuses continuent de se tenir à l’affut des merveilles naturelles de l’île. Ainsi au bout d’une piste de terre rouge, bordée de géants baobabs, éléphants du monde végétal, nous découvrons la plage de Mtende. David, jeune français plein de goût, propose dans la solitude du lieu un restaurant et deux confortables huttes qui ne se refusent pas… Depuis le surplomb des rochers, où notre principale occupation est de viser le bon créneau de marée pour observer sans trop de danger les fonds marins avec nos masques et tubas, nous avons la surprise de voir au large le souffle de deux baleines.
A Kizimkazi, l’occasion se présente à nouveau de prendre le large et tenter d’observer des dauphins. Nous parcourrons des yeux l‘immense océan sous tous ses reflets, scrutant d’improbables ailerons dépassant les remous écumeux. La moitié du bidon d’essence étant atteinte au bout d’une grosse heure d’affut, un demi tour résigné s’imposait, quand nous fûmes soudain en vue d’un groupe de dauphins face au bateau ! " you are lucky! " sourit Amid. Notre excitation est à son comble. Nous plongeons au milieu de ces mammifères , cousins plus lointains encore que les singes, ayant eux choisi de rester dans l’eau… Nous pouvons détailler chacun d’entre eux selon leur taille, leurs traits, leurs cicatrices, leur comportement. Un bébé se montre particulièrement curieux. Quelle douceur et quelle fluidité émanent de leurs mouvements ! Nous pouvons sous l'eau les entendre communiquer entre eux par des cris aigus. Moments inoubliables !
Au village, nous faisons la connaissance d’Isaik qui nous concocte un repas de poissons sur la plage. Dans ce cadre, nul intérêt pour lui d’investir dans des murs pour exprimer son talent de cuisinier…une table en plastique recouverte de feuilles de bananiers, des poissons sortis de l’eau et directement jetés sur le grill, un riz blanc accompagné d’une sauce coco tomates, une salade de fruits et légumes frais, de quoi vraiment en faire tout un plat…
Dernière étape harassante pour rentrer à Stone Town. 60 km rythmés par les caprices du ciel que nous laissons régulièrement se vider avant de progresser à nouveau de quelques lieux jusqu’à la prochaine trombe, trouvant là l’abri sommaire d’un débord de toiture en tôle. Véhicules et passagers excités par l’orage, lancés à pleine allure dans les flaques, vers un meeting électoral car la campagne bat son plein. Nous les évitons au mieux, slalomons dans les embouteillages à l’entrée de cette petite capitale, avant de rendre nos chères bicyclettes (dans un meilleur état que nous les avons prises) , nous faufilons avec nos sacs à dos détrempés dans le labirynthe de petites ruelles , puis, mouillés de la tête aux pieds, heureux, nous nous affalons de fatigue chez Catherine, adorable hôte qui nous accueille dans son appartement au charme typique de Stone Town.
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