top of page

L'écriture en voyage

De l’écriture en voyage et de sa génèse...

 

En voyage, dépouillés de notre identité sociale habituelle, anonymes immergés dans un monde étranger, notre disponibilité est plus grande. Ainsi nous pouvons percevoir plus intimement quantités de choses qui nous interpellent et nous surprennent.

 

Tout est regard ! Attentif, présent.

Encore faut il assimiler, traduire en mots les instants captés.

Comment donner à lire un harmonieux assemblage de mots imageant notre histoire?

 

S’isoler, pour se laisser entrainer dans des pensées ininterrompues, afin de décanter les sensations, associer des idées, poser des mots. Pas évident ! Dans les moyens de transport parfois, sur la bicyclette ou lors de longues marches, ou encore la nuit à la faveur de productives insomnies.

 

Ne pas attendre que les moments captés et les justes formules s’évaporent, jeter les mots, même mal, sur la page blanche du soir. Dormir même prés du carnet. Certaines heures d’insomnie, par une étrange alchimie poétique, pendant de brefs instants les mots sembleront décrire le réel. La nuit fertilise ainsi les sillons de la page. L’esprit commande machinalement la main qui les parcourt. S’y égrainent alors comme à nul autre moment les expressions des émotions passées, puisées dans les riches champs lexicaux du langage. Le silence et la lueur de la frontale, la chaleur des flambeaux intérieurs les fécondent. Des mots persants, des phrases se (photo) synthétisent en une composition parfois harmonieuse. Au matin la moisson serait nulle, la page restée blanche sans cette parenthèse active et intime au cœur de la nuit.

 

Rien ne se crée, ni ne se perd, tout se transforme.

Les inspirations des récits sensibles, engagés d’auteurs comme Tesson/Kessel/Chatwin/Gras/Bouvier/Thoreau parmi d’autres, lus parfois des années avant, sont sans doute ainsi passées par l’esprit au filtre de notre propre vécu.

Ces auteurs, ayant peut etre eux même fécondé leur présent par d’autres influences, ne sont pas étrangers à ce plaisir d’écrire, ce gout du verbe soigneusement choisi.

 

Ce plaisir nait aussi de cette difficulté d’écrire.

En des temps de vie quotidienne « normale », il m’est difficile de rédiger ne serait ce qu’une carte postale à des proches. Exaspération de la banalité des propos. Même si c’est l’intention qui compte, exercice délicat que de montrer que l'on éprouve envers son destinataire par des mots justes, limité par un format 10x13divisé par 2 pour laisser place à son adresse.

 

Aussi dans la banalité trop apparente du quotidien, la faculté de disserter longuement me paraît sans intêret. Vivre chaque instant en captant son essence, la magie qu’il opère sur nos sens, est réservé aux artistes. Ainsi Proust fit de la description de sa vie pour le moins commune une œuvre magistrale et intemporelle, capable d’enchainer des chapitres décrivant ses réminiscences liées au gout d’une madeleine ou au parfum d’aubépines.

 

Pour ma part, pas d’odorat propice aux réminiscences, et un grand besoin de dépaysement, de stimulis de l’imprévu et la densité de vie qu’il génère, d’apprentissages par la nouveauté, les découvertes, la beauté comme le dégout ou l’indignation.

 

Le voyage, pour peu que l’on demeure libre de temps et d’espace, est propice au vécu de ces moments exceptionnellement savoureux ou pénibles. Plus les émotions sont intenses, plus les consigner sur des lignes sera aisé.

 

Le plaisir d’écrire alimente en retour l’acuité à déceler dans le quotidien un intérêt à l’observation. Prendre des notes sur le vif, pour mieux aiguiser le regard.

Des scènes de vie courante, banales pour ses figurants, tantôt colorées, apaisées, vives ou pesantes, associées aux sons, à la lumière, peuvent fixer notre attention et inspirer leur contemplation.

 

Mais même en voyage, des jours entiers sans inspiration particulière. S’efforcer alors d’observer ce qui se passe en nous en autour de nous, noter régulièrement nos impressions même banales. L’insignifiant peut se révéler parfois intéressant. Affronter la page blanche : un devoir, une contrainte quand la fatigue demande au corps de sombrer dans le sommeil, puis une habitude plaisante, un besoin peut être.

 

 

Citation de Sylvain Tesson, écrivain voyageur:

"La certitude de retrouver le soir venu une page vierge et le souci de devoir l'honorer obligent à mieux regarder le monde, à mieux s'imprégner de sa beauté, à tendre mieux l'oreille à sa symphonie, à mieux formuler les réflexions qu'inspire l'effort, à "tenir son âme en haleine" pour reprendre la belle expression de Montaigne, bref à vivre mieux, à vivre plus."

bottom of page