Hommage à Emile

Vendredi 13 Novembre 2020 2 semaines seulement après notre départ pour le Brésil, nous venons de rentrer en urgence en France au chevet de papi Emile qui se meurt un peu plus chaque heure. Son courage depuis plusieurs années n’aura pu enrayer le processus ravageur des cellules cancéreuses. Il est pourtant encore jeune mais la mort, comme la vie ou l’amour, a ses raisons que la raison ignore.

Dans notre France déboussolée, suspendue avec sérieux à l’accent grave de nos ministres, nos récentes rencontres avec des gens lointains devenus proches amis, ces moments d’imprégnation dans une nature sauvage, nous procurent une certaine sérénité pour surmonter la peine.

Durant la longue nuit noire, des temps propices à l’insomnie, faute au tracas de l’esprit plus qu’au décalage horaire. Dans ce silence infuse alors le chagrin, l’impuissance, mais si l’on y prend attention, même dans cette nature qui semble figée dans l’automne, la vie continue : au loin un chien aboie, une chouette hulule, un coq se prend au sérieux bien avant l’aube. De jour comme de nuit, Linda, ses sœurs et leur maman restent au chevet d’Emile à l’hôpital. Bien conscient, il reçoit d’innombrables hommages et adieux par téléphone, auxquels il trouve la force mentale et physique de répondre avec humour parfois. « Tu devrais bientôt me voir dans le journal », dit il à son ami triste de ne pouvoir lui rendre visite cause Covid.

Avec les garçons, nous restons confinés dans la campagne sarthoise. Autant qu’en voyage lointain, nous essayons d’accorder une dimension à nos activités, ainsi cuisiner devient un rituel pouvant occuper beaucoup de temps avec plaisir. Rassemblant les feuilles mortes, brunes et détrempées, nous nous rappelons que papi les regardait vibrer encore de couleurs étincelantes au soleil il y a trois semaines, avant notre départ au Brésil. Ces feuilles couvriront le potager, se mêleront à sa terre pour régénérer la vie et nourrir au printemps de nouveaux végétaux. Peut être à un plus d’1km des champignons attentent que nous honorions leur apparition d’une cueillette suivie d’une bonne omelette, mais le droit, plus que le risque, nous en défend. Des sangliers continuent d’être la proie des chasseurs autorisés. Rage! Des renards doivent encore fuir les regards.

Le poids de la situation, tant familiale que planétaire, est de nature à provoquer un certain recul. Que faire quand le destin est tracé, que la messe sera bientôt dite à moins de 30 proches dans une église trop vide ? (le parking de SuperU, lui , est bien plein !) Laisser aller sa peine, mais voir de l’avant, se disant que la vie continue, qu’elle se manifeste autour de nous sous d‘infinies formes, que nous avons la chance de pouvoir continuer à participer à cette danse, à l’observer, à user de nos sens pour porter attention à chaque action que nous réalisons, à chaque situation vécue. Il faut danser quand la musique joue…disait papa Ronsard. Ces instants de marche et de rêverie réceptive dans l’atmosphère palpable de la jungle, entourés d’arbres et de plantes dont nous ignorions l’existence pour la plupart, nous reviennent en songe, comme ce magnifique géant papillon bleu et noir, doté d’ailes dépassant la taille de mains d’enfants. Nous étions restés coi d’émerveillement devant ce « billet d’amour que s’envoient les fleurs », l’observant incapables de le figer en photo, esperant trés fort que son battement d’ailes puisse déclencher un miracle à l’autre bout du monde. 15 Nov. Emile s’est éteint cette nuit, serein d’avoir pu être accompagné par sa famille proche, grâce à la tolérance de la formidable équipe de soins. Fin des souffrances pour Papi. Nous entourons chaleureusement Mamie, nous remémorant les beaux moments passés avec lui et toutes ses qualités. 20 Nov. Drôle de cérémonie que sa sépulture: frustrations, émotions, réconfort qu’elle fut plus chaleureuse que ce que prévoit la loi martiale actuelle, limitant les participants à la sépulture au nombre de 30 !!! Merci à la mairie du village qui a permis une diffusion à l'extérieur de l'église pour la petite centaine de téméraires masqués qui tenaient à lui rendre un dernier hommage. Un tapis de fleurs coloré recouvre à présent un large espace du petit cimetière du village. Le vide s'installe petit à petit après avoir célébré, partagé les souvenirs d'Emile... les amis, la famille le pleurent beaucoup et il faut remonter le moral des proches. Mon cher Papa,une dernière fois, tu nous as donné une grande leçon de vie en nous quittant apaisé et serein et nous savons que rayonnent aujourd'hui, sur tous tes proches, ta gentillesse et ta sagesse... en toute discrétion.