De ces noms de lieux mythiques…bastion des conquistadores espagnols, ville chargée d’or et d’émeraude, pillés des peuples indigènes précolombiens.
Son histoire, loin d’être un long fleuve tranquille, nous est détaillée au musée de la marine. Ses richesses attirèrent toutes les convoitises. Ici sonne encore l’assaut des pirates et corsaires français ou anglais. Francis Drake rapporta plus que son pesant d’or à la Reine, tandis que les corsaires français réussirent à la mettre à sac et repartir contenter eux aussi Louis XIV de leur butin de métaux précieux. La cité usa alors de main d’œuvre esclave venue d’Afrique pour monter son corset de remparts. Oublieuse de la guerre tout le 17e siècle, il s’en fallut de peu que la ville soit aujourd’hui britannique. En 1697 « Los mosquitos », qui inoculèrent aux marins la fièvre jaune au travers de leur peau blanche, et « Dios », incarné dans Blas de Lezo, un demi homme (amputé d’un bras d’une jambe et d’un œil), amiral stratège hors pair chargé par les espagnols de protéger la cité, en voulurent autrement et repoussèrent, à l’acharnement de quelques navires, toute la flotte que l’Angleterre possédait alors.
Aujourd’hui encore le galion San José entretien le mythe de cette époque. Chargé côté Pacifique de l’argent des mines de Potosi et de l’or péruvien, ses métaux précieux étaient convoyés à dos d’hommes à travers la jungle panaméenne. Dans sa course vers Cadix ou Séville en Espagne, il était sensé faire étape à Carthagène pour compléter sa cargaison de l’or des indigènes orfèvres Muisca ou Zénu…
L’infortune croisa son destin quand, si vaste soit l’horizon, apparut à la lunette un escadron de corsaires sous pavillon anglais. Le galion fut coulé par le fond avec sa cargaison à quelques dizaines de miles marins au large des côtes. Il a pu être localisé en 2012 non loin d’où nous nous trouvons. L’Espagne, la Colombie, le Pérou et la Bolivie négocient à ce jour pour savoir à qui profiteront les richesses sorties des eaux…à moins, comme il se dit ici, qu’il n’ait déjà été pillé par l’entreprise américaine l’ayant localisé…
L’histoire moderne n’est pas en reste. Carthagène est la ville la plus diverse que nous ayons visité dans ce pays. Nous y mesurons peut être plus qu’ailleurs l’injustice et le fossé social. Des ultra riches aux plus démunis, 6 strates socio économiques sont officiellement définies et conditionnent notamment les quartiers de résidence.
L’intérieur des remparts ressemble à s’y méprendre à nos villes côtières, ou encore celles d’Espagne et d’Italie, ville-musées dénuées de vie et dédiées au tourisme. Rues pavées aux bâtiments cossus, cafés et restaurants à l’ambiance design et zen, chaleureusement décorés. Les portes sont dotées de motifs indiquant la classe sociale des résidents d’antan. Le centre historique éblouit de toutes ses richesses, les gens aisés y paradent, mais les exclus se tiennent là aussi, à l’ombre des « porshes ». Dames en costume coloré traditionnel pour la photo, sympathiques vendeurs d’artisanats en tous genres ne sont que la face visible de l’iceberg du peuple d’en bas. Les clochards lançant aux touristes tantôt suppliques ou jurons macérés dans le rhum, sont écartés par des policiers civils ou privés.
Nous distribuons quelque peu de nos propres ressources, davantage par compassion que par besoin.
Au consulat d’Espagne, une exposition sur la résilience, ou comment l’humain est incroyablement doué pour s’adapter à l’âpreté des conditions d’existence ? Histoires de ces destins d’infortunes, d’incertitudes, et d’étroits possibles auxquels ils se raccrochent.
Notre voyage, nos aventures, c’est aussi ce questionnement sur nos existences, quand la vie rude se déploie dans le champ du réel, à pleine main, yeux dans les yeux.
En périphérie de la ville survit une faune de miséreux. Ils nettoient les pare-brises, trient les poubelles en quête d’improbables trésors, poussent le long des routes leurs landaus ou caddies dans lesquels s’entassent pèle mêle leurs richesses protégées de sacs en plastique.
A quelques distances, des gratte-ciel contemporains, abritant une population à l’existence capitonnée, s’étendent au loin.
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